Insuffisance rénale
L’insuffisance rénale correspond à une diminution plus ou moins marquée des fonctions rénales. Cette condition est avant tout définie de manière biologique, se manifestant par une élévation des taux d’urée et de créatinine dans le sang. Le rein, organe vital responsable de la production d’hormones et de l’élimination des déchets toxiques de l’organisme, voit sa défaillance partielle ou totale entraîner de profonds impacts sur la vie quotidienne (1).
Il est difficile de déterminer précisément le nombre de personnes atteintes d’insuffisance rénale, car la maladie, indolente, ne se manifeste souvent que dans des stades très avancés, après des années d’évolution silencieuse.
Le Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN) recense les patients sous dialyse ou ayant bénéficié d’une greffe. Fin 2021, plus de 90 000 personnes étaient traitées pour une insuffisance rénale chronique terminale (2). Chaque année, le nombre de nouveaux cas progresse, touchant principalement les personnes de plus de 75 ans et les diabétiques.
Enfin, on estime qu’environ 10 % de la population française serait affectée par une maladie rénale sans présenter de symptômes apparents, constituant ainsi la partie invisible de l’iceberg.
Evaluation de la fonction rénale
L’évaluation de l’activité d’élimination rénale est cruciale pour diagnostiquer une souffrance rénale. Cette évaluation repose sur la mesure du débit de filtration glomérulaire (DFG), qui correspond à la somme des taux de filtration de chaque néphron fonctionnel.
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est classée en différents stades selon l’estimation du DFG : plus ce dernier est faible, plus l’insuffisance rénale chronique est sévère. Le DFG est déterminé à partir de la clairance de la créatinine (3).
*Nécessite la recherche et l’existence d’un ou plusieurs marqueur(s) biologique(s) d’atteinte rénale (organique) : protéinurie, hématurie, leucocyturie, anomalie morphologique ou histologique, marqueur(s) de dysfonction tubulaire, persistant depuis plus de 3 mois.
En présence d’une IRC, le DFG doit être réévalué régulièrement. En pratique, le DFG est appréciée par la mesure de la clairance urinaire d’un marqueur endogène produit par la masse musculaire, constant d’un jour à l’autre pour un même individu : la créatinine. La créatinine est librement filtrée par les glomérules, mais elle est également sécrétée par les cellules tubulaires. Ainsi la clairance de la créatinine correspond à la somme de la filtration glomérulaire et de la sécrétion tubulaire.
La valeur de la créatininémie peut constituer un indicateur faussement rassurant. Le taux est différent en fonction des individus (âge, sexe, race). De plus, la créatinine est librement filtrée par les glomérules, mais elle est également sécrétée par les cellules tubulaires. La contribution de la sécrétion tubulaire augmente à mesure que le DFG diminue. L’augmentation de la créatininémie n’est donc pas corrélée linéairement au DFG. Il est ainsi nécessaire de calculer le DFG afin d’estimer la fonction rénale des patients.
L’appréciation de la fonction rénale se fait ainsi par l’estimation de la clairance de la créatinine ou du DFG. La clairance de la créatinine (ClCr) peut être mesurée par le recueil des urines de 24 heures ou calculée à partir de la créatininémie. La fiabilité du recueil urinaire peut être contrôlée par le calcul de la production attendue de créatinine urinaire d’après une formule qui prend en compte l’âge et le poids du patient :
(140 – âge) × poids en kg / 5
Cependant, le recueil des urines de 24 heures se révèle difficile en pratique. Des formules ont été mises au point afin d’estimer le plus simplement et rapidement possible la fonction rénale du patient. Les plus connues sont la formule Cockcroft et Gault, MDRD ou encore CKD-Epi.
Formule de Cockcroft & Gault
Développée en 1976, elle estime la ClCr en mL/min (4). Elle a été développée en tenant compte de l’influence de l’âge, du poids et de la créatinine plasmatique chez 249 hommes, âgés entre 18 et 92 ans.
La très connue formule de Cockroft et Gault permet de façon rapide et fiable, d’estimer la clairance de la créatinine lorsqu’on ne peut disposer des urines des 24 heures.
Clairance créatinine (mL/min) = k x (140 – âge [ans]) × poids (kg)/créatininémie (µmol/L)
Avec k = 1,23 pour un homme et 1,04 pour une femme
Cette formule a cependant tendance à surestimer le DFG pour les patients en surcharge pondérale et le sous-estimer chez les patients de plus de 65 ans en accordant une trop grande importance à l’âge.Ainsi, en 2022, Busse et al. ont démontré que l’équation de Cockcroft-Gault ajustée au poids idéal avait la plus grande précision et exactitude parmi toutes les formules de prédiction de la filtration glomérulaire, chez les patients en surpoids (5).
La formule ajustée au poids corporel devient :
Clairance créatinine (mL/min) = k x IBW (kg) x (140-âge) / créatininémie (µmol/l)
- Avec k = 1,23 pour un homme et 1,04 pour une femme
- Avec IBW (=poids idéal) :
Formule abrégée MDRD (aMDRD)
La formule Modification of the Diet in Renal Diseases (MDRD) a été développée en 1999 par Levey et al (6). Plusieurs variables ont été prises en compte lors de son développement et seulement celles ayant une corrélation significative ont été retenues comme l’âge, le sexe, la créatinine sérique, l’ethnie, l’urée et l’albumine sérique. La formule MDRD permet d’estimer directement le DFG et le résultat est indexé en fonction d’une surface corporelle (SC) de 1,73 m2. Il est à noter que cette formule sous-estime les DFG supérieurs à 60 mL/min/1,73 m2.
Il est nécessaire de convertir en ml/min la valeur du DFG exprimée en ml/min/1,73m2 . En effet, pour déterminer pharmacologiquement la posologie adaptée, il est nécessaire de connaître le « vrai » DFG du patient, pour sa « vraie » surface corporelle, et pas « le DFG du patient si sa surface corporelle était de 1,73m2 ». Cette conversion est primordiale en particulier chez les sujets les plus susceptibles d’avoir une surface corporelle très différente de 1,73m2, c’est-à-dire « les obèses, les grands, les maigres, les petits».
DFG (ml/min/1,73m2) = k x 186 x (Créatininémie)-1,154 x (âge)-0,203 x K
- K = 1 chez l’homme et 0,742 chez la femme
- Créatininémie en mg/dl
Formule CKD-EPI (Chronic Kidney Disease – Epidemiology Collaboration)
L’équation du CKD-EPI (Chronic Kidney Disease – Epidemiology Collaboration), a été développée en 2009 (7).
Cette équation est surtout intéressante pour les populations à fonction rénale subnormale (et donc pour le dépistage de l’insuffisance rénale). Comme dans la formule MDRD, le résultat, est indexé à la surface corporelle.
CKD-EPI est plus précise que celle MDRD, notamment pour les valeurs de clairance de la créatinine dépassant les 60 ml/min/1,73 m2.
DFG (ml/min/1,73m2) = 141 * min(Créat / k)α x max(Créat / k) -1.209 x 0,993 Age x (1,018 si sexe féminin) x (1,159 si sujet noir)
Avec k=0,7 pour les femmes et 0,9 pour les hommes, et α=-0,329 pour les femmes et -0,411 pour les hommes. La créatininémie est exprimée en mg/dl.
Fonction rénale et médicaments
L’insuffisance rénale impacte la pharmacocinétique de certains médicaments, car le rein joue un rôle clé dans leur élimination. Lorsque la fonction rénale est altérée, les patients courent un risque accru d’accumulation des médicaments éliminés par voie urinaire, ce qui peut entraîner un surdosage et la survenue d’effets indésirables médicamenteux.
A l’inverse, dans certains cas, des patients peuvent souffrir d’hyper-dynamisme rénal (Clcreat >> 130 mL/min). Pour ces derniers, le risque n’est plus une accumulation des médicaments éliminés par voie urinaire mais une réduction trop importante des concentrations plasmatiques par sur-élimination, les exposant à une baisse d’efficacité des médicaments.
Dans tous les cas, la posologie usuelle (qui permet normalement d’obtenir le meilleur rapport bénéfice/risque) des médicaments n’est donc plus adaptée et doit être réévaluée. Les médicaments principalement concernés sont ceux éliminés par voie rénale, sous forme active ou sous forme de métabolites, toxiques ou actifs.
D’autres aspects de la pharmacocinétique des médicaments peuvent également être perturbés en cas d’insuffisance rénale (IR) (8) (9) :
- Résorption gastrique : l’hypochlorhydrie, fréquemment associée à l’insuffisance rénale chronique sévère, ralentit l’absorption des acides faibles.
- Effet de premier passage hépatique : l’insuffisance rénale peut réduire l’efficacité de ce processus d’élimination pré-systémique.
- Fixation aux protéines plasmatiques : en cas de syndrome néphrotique, l’hypoalbuminémie générée peut augmenter la fraction libre du médicament et donc modifier la distribution tissulaire.
- Distribution : cette étape peut être altérée également par la rétention œdémateuse, augmentant le volume du compartiment extracellulaire.
Ainsi, les médicaments acides faibles, ceux métabolisés par le foie, ou fortement liés aux protéines plasmatiques sont particulièrement concernés par ces modifications pharmacocinétiques en cas d’IR. Il est donc crucial d’identifier les médicaments nécessitant une adaptation de la posologie pour éviter le surdosage, tout en ajustant ce dosage de manière à équilibrer le rapport bénéfice/risque pour ces patients.
Adaptation des posologies à la fonction rénale
En cas de souffrance rénale, il est nécessaire d’évaluer la fonction rénale pour adapter les doses et/ou les fréquences d’administration de certains médicaments.
Les résumés caractéristiques des produits (RCPs) présentent en section” 4.2. Posologie et mode d’administration” les adaptations nécessaires des posologies des médicaments en cas d’insuffisance rénale. Les RCPs utilisent très souvent la clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft & Gault comme indicateur de la fonction rénale pour proposer les recommandations d’adaptation de posologies.
Historiquement, les outils digitaux d’aide à la prescription et à la dispensation (GPR®, RenAdaptor®…) des médicaments en cas d’insuffisance rénale proposent des recommandations fondées sur les RCPSs, des référentiels validés ou sur des données de la littérature, catégorielles, non personnalisées aux patients, sur la base de la classification des stades de l’IRC en fonction du DFG.
Ainsi, pour un même médicament, en utilisant ces outils, un professionnel de santé proposera à un patient présentant un DFG= 30 mL/min la même adaptation posologique qu’un patient présentant un DFG= 59 mL/min (c’est à dire un patient présentant une clairance rénale deux fois plus grande). A l’inverse, pour un médicament éliminé principalement par voie rénale, deux patients présentant l’un, un DFG à 28 mL/min et l’autre, un DFG à 32 mL/min, auront une posologie différente, alors que intuitivement, elle devrait être très proche.
Pour pallier ce besoin de personnalisation de la prise en charge des patients, Bimedoc en partenariat avec DDI Predictor met à disposition de ses clients l’outil CREAT (Creatinine Renal Clearance and Adaptation of Therapy), permettant la prédiction quantitative de la variation d’exposition des médicaments chez les patients en souffrance rénale (insuffisance rénale et hyperfiltration rénale).
Sources de l’article
- (1) INSERM. Insuffisance rénale – Décrypter les mécanismes de destruction du rein. Novembre 2017.
- (2) Réseau Epidémiologie, Information, Néphrologie. Registre français des patients avec une maladie rénale chronique stade V. Rapport 2021.
- (3) Haute autorité de santé « HAS ». Guide du parcours de soins – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC). Validé par le Collège le 1er juillet 2021.
- (4) Cockcroft D. Gault M.H. Nephron. 1976 ; 16 : 31-41
- (5) Busse D. et al. Evaluating prediction methods for glomerular filtration to optimize drug doses in obese and nonobese patients. Br J Clin Pharmacol. 2022 Jun;88(6):2973-2981.
- (6) Levey, A. S., et al.. Using standardized serum creatinine values in the modification of diet in renal disease study equation for estimating glomerular filtration rate. Annals of Internal Medicine, 2006 145(4), 247-254.
- (7) Levey AS et al. A New Equation to Estimate Glomerular Filtration Rate. Annals of Internal Medicine 2009;150(9):604-613
- (8) Haute autorité de santé « HAS ». Guide du parcours de soins – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC). Validé par le Collège le 1er juillet 2021.
- (9) OMEDIT Haute-Normandie. Adaptation posologique des médicaments à la fonction rénale. Septembre 2013